top of page

Les oeuvres

 

Extraits de "Jean Robie (1821-1910)", par Brigitte Schuermans

 

L’œuvre picturale de  Robie peut se répartir en deux genres principaux. D’une part la nature morte se subdivisant en thèmes récurrents, d’autre part, les tableaux à tendance orientaliste, comprenant paysages, marines et  nombreuses scènes de genre, souvenirs de ses pérégrinations à travers l’orient.

En analysant les deux  genres qui caractérisent son œuvre, on constate à quel point  Robie s’est progressivement éloigné de la rigoureuse tradition qui gère les règles de composition des natures mortes en s’épanouissant dans des œuvres franchement orientalistes. Virtuosité et spontanéité vont ici se rencontrer.

 

Un peintre de la vie silencieuse

 

Le terme de « nature morte » s’avère bien pauvre par rapport à l’ensemble de ce qu’il veut désigner, car il condamne d’emblée les objets et les choses à n’avoir pas de vie.
Mais comment le remplacer  par une appellation qui comprendrait à la fois le gibier mort,  oiseaux,  poissons, fleurs, fruits, instruments de musiques, bijoux ainsi que tout objet prétexte à la conception d’une œuvre d’art ?
D’autres langues, l’anglais « still life » ou l’allemand « Stilleben » le définissent plus généreusement de « vie silencieuse », infiniment plus poétique, se rapprochant sensiblement de l’esprit animant les oeuvres de  Robie.

Privilégiant certains sujets, il développe de véritables variations sur un même thème : fleurs, fruits et accessoires, fleurs dans un paysage, compositions avec moineaux et raisins. Sujets biens distincts qu’il est nécessaire d’examiner tour à tour afin de retrouver les sources d’inspirations auxquelles l’artiste s’est référé, celles-ci restant essentiellement le 17e siècle.

Voyages

Outre ses contacts avec l’école de Tervuren, Robie fréquente les artistes du Cercle Artistique et Littéraire de Bruxelles avec qui il exposera à deux reprises. Membre de la Société Libre des Beaux-Arts, il participe à diverses manifestations du groupe.Ses rapports avec les personnalités turbulentes de ces différentes associations vont certes influencer son art. Pourtant, ce seront ses grands voyages qui feront de lui un authentique orientaliste.Dès 1878, il découvre l’Egypte, puis de 1880 à 1886, l’Inde et Ceylan.

En Belgique, nombreux furent les peintres voyageurs : Alfred Bastien (1873-1955), Théodore-Joseph Canneel (1817-1892), Louis-Pierre Van Biesbroeck (1839- 1919), Henri Evenepoel(1872-1899), Jean-François Portaels (1818-1895), Emile Wauters (1846-1933), Adolf Alexandre Dillens (1821-1877) et bien d’autres encore.Ainsi, tout au long du 19e siècle, bon nombre d’artistes belges, suite à leurs expéditions lointaines, exploitent des thèmes proposés par leur vision nouvelle de mondes exaltants.Dans le même temps, la politique de colonisation de Léopold II était un merveilleux stimulant pour encourager les plus audacieux à s’aventurer loin de leur petit pays.C’est surtout vers l’Orient que Léopold Ier, puis son fils, avait cherché une colonie pour la Belgique.Les tentatives  se sont portées ensuite vers l’Afrique, car le percement de l’isthme de Suez en 1870 permettait de rendre les communications entre l’Europe et la côte Est de l’Afrique plus aisées et rapidesD’après les souvenirs de famille de Raymond de Fays, dépositaire des archives familiales et initiateur de la Fondation Jean Robie, ce serait à l’instigation de Léopold II que Robie aurait entrepris l’un ou l’autre de ses voyages, confortant naturellement son enthousiasme pour rédiger ses souvenirs ou exécuter des  tableaux orientalistes.S’il s’avère parfois quelque peu fantaisiste, ceci confère un charme supplémentaire à la lecture de ses récits.

Parmi les œuvres orientalistes, de nombreux tableaux évoquent la vie dans le désert,  la jungle ou dans quelques grandes villes de l’Inde.
Biskra (n° 224 du catalogue) par exemple, dépeint un campement de nomades d’où il se dégage une impression de grouillement et d’intense activité. Robie, âgé de 70 ans, jouit pleinement de ses capacités artistiques.
D’autres tableaux encore décrivent la vie en marge du désert, scènes particulièrement intéressantes, non seulement d’un point de vue strictement  artistique, mais également comme témoignage d’une époque, relatant divers aspects sociologiques et humains. Tel  A bord de l’Anadyr (n° 195 du catalogue)  dont il existe plusieurs versions.Lors de son séjour en Inde, il exécute une série de tableaux représentant des éléphants. Dans  La meilleure monture ( n° 206 du catalogue), il s’y représente tout de blanc vêtu, coiffé du casque colonial, à l’abri d’un parasol blanc, perché sur le dos d’un éléphant. Accompagné de deux indiens, l’un est à l’avant guidant le pachyderme, l’autre à l’arrière dans l’howdah.

A l’occasion de ses quatre-vingts ans, Robie fait don aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles, de  L’incendie dans la jungle (n° 204 du catalogue) représentant une chasse aux tigres désorganisée par un formidable incendie dans les hautes herbes de la jungle.
Evénement relaté dans les Bulletins de l’Académie « M. le Directeur, en ouvrant la séance, se fait, dit-il, tout à la fois un honneur  et un devoir d’annoncer que M. Robie, à l’occasion de son 80e anniversaire, a fait don, au musée de l’Etat. Je ne doute nullement, ajoute  M. Fétis, que l’assemblée s’associera non seulement aux témoignages d’estime et d’affection dont l’illustre confrère a été l’objet à cette occasion, mais partagera également l’admiration suscitée par les hautes qualités de cette œuvre, laquelle est destinée à occuper l’une des plus brillantes places de la collection des peintres belges dans le principal musée du pays ». (40).

D’autres tableaux évoquent les difficultés rencontrées en cours d’expédition. Parmi eux, les deux oeuvres exposées au Cercle Artistique et Littéraire de Bruxelles :  Le ravin  (n° 208 du catalogue) et Retour de la chasse aux tigres ( ou nommé l’incendie dans la jungle) (n° 204 du catalogue)
Complétant ces descriptions de la vie autour d’une chasse au tigre  Le campement  (n° 214 du catalogue)  offre une véritable fresque sociale décrivant l’animation qui pouvait régner au sein de ces lieux de repos. Ici, les tentes blanches se détachent sur un fond de végétation roussie par l’ardente chaleur qui règne en ces régions avec, au premier plan, les Indiens qui s’affairent autour des éléphants majestueux.

Quelques tableaux encore dépeignent le faste des Rajahs trônant dans les howdahs, montés sur les éléphants merveilleusement parés, envers lesquels Robie manifestait une vive admiration et un profond respect.


 

Moineaux et raisins

A notre connaissance ,10 tableaux au moins exploitent le thème des moineaux et raisins. La scène se déroule dans un jardin imaginaire où l’on distingue parfois quelques ruines antiques. Sur un fond de dalles et de pierres, au pied d’un arbre, se détachent des branches de vignes richement garnies de grappes de raisins noirs et blancs. Quelques moineaux viennent animer le tableau.
De cette série, 3 tableaux sont pratiquement identiques, les autres présentent quelques variantes, mais la composition reste semblable. Certains tableaux pourraient n’être qu’une esquisse préalable à la réalisation d’une œuvre achevée.
N’étant pas tous datés, il est difficile de les situer dans le temps. Il semble toutefois que Robie ait développé ce sujet essentiellement au cours des années 1860 à 1870.


Il n’est pas exclut qu’il se soit inspiré d’un tableau de Abraham Mignon (1640-1679),  Fleurs, animaux et insectes,  exposé au musée du Louvre. Il présente de réelles similitudes, tant dans la composition que par le jeu de lumière créant une atmosphère semblable.
Le retour aux sources, systématique dans la conception des sujets, lui procurait certainement l’assurance d’une oeuvre empreinte de solides repères lui permettant de ne pas se tromper dans ses recherches.
Ignace Vandedivere (31) reprochait à Robie son manque d’innovation, alors que pour le peintre ce n’était absolument  ni le but ni l’objet de ses recherches personnelles. Un artiste peut se révéler magnifique dans sa création sans s’obliger à des innovations, parfois outrancières.

Le besoin de certitudes a maintenu Robie dans une création inscrite rigoureusement dans la tradition jusqu’au moment où il s’ouvre aux courants nouveaux par le biais de ses voyages.

Un  esprit commun semble animer les différents thèmes traités. Si les bouquets dans le paysage étaient forts chargés, un peu étouffés par un fond luxuriant, il en va de même pour les raisins et moineaux. Quand on se réfère aux quelques tableaux datés, les premières œuvres présentent une végétation abondante dans la partie supérieure gauche, créant de la sorte, une atmosphère un peu lourde et oppressante.  Elle oblige l’artiste à éclairer intensément la partie centrale de l’œuvre dans un contraste proche du clair-obscur.
Robie simplifiera progressivement ses compositions en allégeant la densité de la végétation pour laisser place à une ouverture sur un ciel bleu conférant à l’ensemble une lumière plus douce et plus naturelle. Celle-ci lui permet de faire émerger la composition  d’un clair-obscur presque trop strict. Semblable simplification se retrouve dans les bouquets dans un paysage.
L’allusion au thème de la Vanité des anciens est exprimée ici grâce à une grappe de raisin détachée du sarment central. Placés au pied de la vigne, les raisins se dessèchent petit à petit même s’ils attirent encore les oiseaux, dans le traitement desquels l’artiste se révèle excellent peintre animalier.

Marines et paysages

Heureux d’accomplir son  rêve d’enfance, Robie, s’émerveille inlassablement à la vue de toute nouveauté. Fasciné par la découverte d’océans nouveaux, il cherche à en saisir la subtilité des nuances.
Peignant à bord du bateau qui le transporte lors de ses voyages, il a laissé d’excellentes marines représentant la côte d’Arabie et les rives du Nil, exécutées dans des tonalités vives et claires. D’une extraordinaire luminosité, ces nouveaux horizons ont véritablement transformé sa palette.


 

Une des plus belles marines reste, sans conteste, La Théraïbe, Rive gauche du Nil, à Louxor (n° 181 du catalogue), où Robie détaille, avec précision, le bateau à bord duquel il navigue. Amarré à une des rives du Nil, le voilier se détache sur un fond clair nettement impressionniste.
Ce contraste a déjà été observé dans l’exécution de certaines natures mortes : la touche picturale est réaliste, précise, minutieuse pour l’exécution du sujet central de l’œuvre, tandis que des coups de pinceaux plus enlevés sont réservés au fond plus impressionniste.
Facture témoignant d’une grande continuité dans l’œuvre.

Esquisses, peintures et dessins illustrent abondamment ses ouvrages. Si Robie n’expose jamais ses œuvres, elles seront connues grâce à ses publications.

Fleurs et accesoires

C’est avec force détails que Robie se complaît à décrire chaque fleur de ses  bouquets.  Il affectionne les coloris vifs et chatoyants typiques des années 1660-1680. Issu de la tradition, il ajoute cependant une note supplémentaire, profondément personnelle, dans l’observation du caractère spécifique de la fleur. Il leur insuffle une âme, celle-là même qui touche à la lecture de ses œuvres.

« La recherche du caractère même de chaque fleur, est chose importante autant que généralement négligée. Que de peintres de fleurs, se fiant à leur facilité de facture et à la richesse de leurs coloris, ne cherchent que l’aspect général, l’effet ou la simple tâche (sic) de couleurs ! Leur art est superficiel. Il est incomplet. Pour bien peindre les fleurs, il faut les aimer et les étudier sans cesse. Il faut saisir par la forme et la couleur, leur véritable nature. Sur une même plante, vous ne trouverez jamais deux fleurs identiques. Chaque spécimen a son allure, son caractère, son aspect.. Il faut observer tout cela et placer chaque fleur dans le cadre qui lui convient »

« Ce qui nous déplait dans l’œuvre nouvelle, c’est le voile que l’artiste a appliqué sur une partie de sa peinture ; nous ne comprenons pas ce que les fleurs gagnent à être vues à travers du tulle, et nous trouvons ce trompe-l’œil d’un nouveau genre, indigne du talent de M. Robie. Un homme aussi distingué que lui ne doit pas recourir à de tels moyens » 

Fresques

Le thème des grandes compositions florales sur fond de paysage est largement exploité dans l’œuvre de Robie. Il a réalisé quelques grandes peintures décoratives, notamment  pour le château Warocqué, elles sont actuellement exposées au Musée de Mariemont à Morlanwez. 

Citons également le Château de Corroy-le-Château dont une pièce est entièrement décorée par le peintre, ainsi que le Château d'Attre.
Dans une autre série de  Cinq tableaux décoratifs (n° 162 du catalogue) représentant vasques et statues au sein d’un immense parc, les couleurs, d’une remarquable fraîcheur confèrent à l’ensemble une heureuse ambiance des belles journées estivales. Celles-ci ont été réalisées sur un support de peau de veau et nous sont également parvenues intactes. Ces œuvres se trouvent actuellement  aux Musées royaux d’Art et d’Histoire à Bruxelles.

Fruits

Pour la mise en place des éléments dans ce genre de composition,  Robie déploie généralement les fleurs sur une table de style, entourées de multiples objets tels que verres, orfèvreries, coffrets de nacre, coupes de fruits etc. Il dispose l’ensemble parfois sur une étoffe blanche, parfois sur un tapis d’orient. Dominé par l’esthétique hollandaise du 17e siècle et du début du 18e siècle, il puise son inspiration notamment chez  Jan Van Huysum ( 1682-1749) pour créer des bouquets bigarrés, composés de  pivoines,  tulipes et roses. Il les mélange aux branches de sapin, de tilleul en fleurs ou de fougères, se servant des tiges et des branches en guise de lignes conductrices pour guider le regard et structurer le bouquet en diagonale.

Robie s’inspire également de l’usage au 17e siècle de disposer les objets en porte-à-faux, prêts à choir du support. Il  recourt  presque systématiquement à cette façon d’agencer quelques fleurs ou fruits au bord d’une table. A cette époque aussi, un drap blanc est judicieusement placé pour rehausser la tonalité générale des objets et créer un contraste avec l’habituel fond sombre. Plus tard, cette note lumineuse sera remplacée par un plat de métal où se jouent de multiples reflets.
Robie adoptera franchement ce système, préférant quelquefois  le marbre blanc comme support de ses objets, afin d’ajouter une atmosphère de luxe. Occasionnellement,  il choisira un tapis d’Orient pour créer une ambiance de faste.

Composition de fleurs

Le thème du bouquet dans un paysage était courant dans le Nord au 17e siècle. Un très bel exemple nous est offert avec le tableau  Fleurs et fruits dans un paysage  de Jan Fyt (1611-1661) exposé aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles.

Du fait des hésitations et tâtonnements perceptibles dans ses premières œuvres, les critiques des Salons au cours des années 1847 et 1848 se montrèrent sans indulgence envers une Nature morte dans un parc  ou Tableau de fleurs (n° 83 du catalogue).

 

Robie exploite le sujet du bouquet de fleurs dans un paysage en développant le thème des séries, reproduisant  une même composition présentant  d’infimes différences. Il existe au moins dix tableaux représentant une  Gerbe de fleurs au bord de l’eau. Les bouquets sont posés de différentes façons :  sur un tronc d’arbre, au pied d’un arbre, contre une vasque antique, sur un muret en ruines, à la base d’une colonne ou à même le sol au bord de l’eau. Parfois, un oiseau vient animer la scène, juste posté près des fleurs et d’ordinaire en bas à droite.
Certains accessoires structurent les compositions. Tels une paire de gants, un chapeau de paille, un voile de tulle, un livre ouvert ou fermé, ou encore une partition de musique.Très lentement, au fil de ses compositions, il va se libérer du carcan de la tradition, les bouquets se simplifient par la diversité des fleurs qui les composent. L’exubérance de la végétation qui les entoure s’apaise au profit d’un fond moins chargé laissant une lumière plus naturelle éclairer les fleurs centrales. 

 

Animalier

Durant les années 1850 –1860, Robie élabore quelques grandes natures mortes extrêmement descriptives dans un concept d’apparat.
Véritables chefs-d’œuvre, l’artiste y cultive la forme large et décorative, héritée de Pieter Aertsen (1507-1575), d’origine hollandaise. Evoquant le thème des  « repas » tel qu’il fut créé vers 1560-1580, Robie amoncelle fruits, légumes, fleurs, gibiers ou crustacés.
Les « repas » des anciens n’étaient pas dépourvus de tout contenu intellectuel. Chaque ensemble de victuailles correspondait à un repas ou une phase de repas déterminée. Seule notre ignorance des usages et des menus de cette époque nous empêche de préciser le sujet.

bottom of page